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Publié le par Ouin Ouin

Portraits

Au temps en rire
Miss météo piquante et caustique, cette Rennaise de 25 ans décale le genre chez Canal +, spécialiste en la matière.

Ses œuvres complètes d’artiste inaboutie, métamorphosée en miss météo farfelue et jubilatoire, racontent assez précisément Louise Bourgoin. 1) Une mire télé, traitée à la Paul Klee, premier de ses travaux d’écolière aux beaux-arts, comme une prescience d’un avenir vraiment pas écrit. 2) Un détournement coquin des canevas de nos grands-mères, tableautins champêtres chinés aux puces et retravaillés en brodeuse lubrique. La biche brame au clair de lune ? C’est parce que le cerf l’entreprend virilement. 3) Enfin, un manifeste féministe en polyester : à défaut d’hommes-objets, des objets-hommes sur lesquels s’asseoir, se vautrer, s’allonger. Mode de production de cette bricoleuse multifonctions : «J’ai moulé un copain avec de la résine, après l’avoir vaseliné. Pour qu’il respire, je lui avais mis un porte-gobelet dans la bouche. Pour le libérer, j’avais prévu une ponceuse vibrante. Mais j’ai dû y aller avec de petits ciseaux et je l’ai entaillé de-ci de-là.»

«Au temps» la laisser parler. L’état civil la prénomme Ariane. Mais, chez Canal +, Ariane Massenet est déjà en plateau, et comme elle est bonne camarade, elle devient Louise. Clin d’œil à Louise Bourgeois, artiste qu’elle apprécie, comme elle aime Jeff Koons, Annette Messager ou Sophie Calle. Ce changement d’identité lui convient bien. Elle dit : «J’ai tendance à préférer Louise. A l’écran, elle est étudiée, contrôlée, parfaite. Louise, c’est l’Ariane que j’aurais voulu être. Elle est courageuse, elle dit les choses qu’Ariane n’ose pas dire.» Florilège des minutes nécessaires de mademoiselle Louise, qui se fiche des cumulonimbus mais trousse des compliments vachards et lunaires, azimutés et foireux, impertinents et délirants aux invités politiques et culturels qui passent dans les parages. 1) A Elisabeth Guigou : «Vous êtes ma patronne. Puisque vous avez été la garde des sottes.» 2) A Jude Law, en toute ingénuité, ne rougissant qu’a posteriori : «Je bois le jus de l’eau.» 3) A Christine Boutin : «Vous avez déclaré qu’au fondement de l’homosexualité il y a une souffrance. Mon colocataire homo est complètement d’accord avec vous. Il est même étonné que vous parliez si bien de cette délicieuse souffrance dans le fondement.»«Car, cher Nico… Oups, on m’avait pourtant bien dit de ne pas parler de Kärcher.» 5) A Schivardi : «Je vais voter pour vous, car je ne prends que du 0 %.» Vu le panel d’exemples retenus, on pourrait classer la dame à la gauche de la gauche. Mais prudence et circonspection… Elle reconnaît juste le consensuel vote Chirac 2002. Et se place sans risque aucun sous le patronage de Coluche et de «l’humour opposant à tous les pouvoirs». Cela ne l’empêche pas de se souvenir avec mélancolie des gloussements flûtés de feu Raymond Barre, ni de préférer assaisonner les politiques, qui, à l’inverse des acteurs, s’abstiennent de demander à lire à l’avance les interventions qu’elle écrit toute seule comme une grande. 4) A Nicolas Sarkozy :

Pourquoi on a mis autant de temps. Louise Bourgoin étonne son monde sur Canal +, depuis une année, et vous pouvez penser qu’on aurait pu réagir plus vite. Mais c’est que la dame ne voulait pas. Au printemps dernier, elle ne se trouvait pas à niveau, estimait son CV maigrelet, attendait une occasion plus adéquate. Car l’oiseau de paradis à tête de linotte sait exactement où se hausser du col et à qui donner la becquée. L’ancienne addict du Club Dorothée a retourné les poches de la société du spectacle et fait déjà l’appoint en monnaie de singe quand on s’imagine encore qu’il lui faut apprendre à faire la grimace. Mais l’éternel complexe d’infériorité télé reflue à mesure que cette fan de Natalie Wood et de Gena Rowlands tourne pour Anne Fontaine, qui cherchait «une jeune fille écervelée et libre de son corps». «C’est tout moi, non ?» Et la rencontre peut se faire dans son grand studio propret du Marais, signe de l’évolution d’un statut social très aléatoire mais doté de 5 000 euros mensuels.

C’était le temps des autres. Louise Bourgoin est le dernier surgeon d’une généalogie très arborée où Canal + s’est fait la main verte. Le choix du personnage météo est une manière pas plus bête qu’une autre de tendre un miroir à l’époque. Il y eut d’abord les aspirantes comédiennes en casting quotidien (Alexandra Kazan, Cécile Siméone), suivies des futures animatrices télé en formation initiale (Mademoiselle Agnès, Anne Depetrini). Puis vint Axelle Laffont, qui prouva que le rire pouvait être transgenre. Hybride abouti, Bourgoin emprunte à Laffont en y injectant un absurde plus flamant rose et de la grossièreté plus petit doigt en l’air. Mais, pas folle, la guêpe un peu gouape se garde bien de torpiller ses atouts Siméone-Kazan, à l’heure où le paraître est coté en Bourse. Deux réactions à cette intronisation de la jolie rigolote. Mademoiselle Agnès, charmante copine à voix rauque : «Il était temps que Canal renoue avec ce classique de la miss météo qui ne soit pas qu’une paire de seins et réussisse à associer le glamour et les neurones» (in Technikart). Et a contrario, le chœur des angoissées : «Mais qu’est-ce qui va nous rester si les filles canons savent aussi faire marrer les mecs ?» N’ayez crainte. Dans le civil, si elle admire Robin, Joly ou Foresti, Louise Bourgoin ne se reconnaît boute-en-train qu’à mi-temps. Quand elle est sobre, elle s’aime bien seule à écouter de «la musique triste». Quand elle se saoule «avec des vins de fille, du sauternes, du monbazillac, pas de ces rouges qui font les lèvres violettes et qui noircissent les dents», la voilà qui fait «le spectacle toute la soirée». Ou chante à tue-tête dans un karaoké…

Le temps d’antan.Elle reconnaît qu’elle vit ses «plus belles années». Prétend que son enfance fut triste, et cela sans raison particulière. Elle faisait le grand écart entre l’aristocratie et la paysannerie, entre Vannes et la Mayenne. Côté paternel, le quartier était de noblesse, maison de famille à colombages, garden-party avec membres du Parlement européen. Côté maternel, les champs étaient à l’honneur. Elevage de porcs et paillardises à la tue-cochon. Un père prof de philo, quand elle aime la noirceur de Schopenhauer et de Cioran. Un père avec qui elle hante les brocantes et qu’elle se flatte d’avoir battu «deux fois aux échecs, mais il était distrait par la télé». Une mère prof de français qui, l’été, l’entraînait sur les routes à l’aventure, pour du camping sauvage à Venise, à Vienne. Une mère qui, après diffusion, soigne une diction, pourtant aux petits oignons.

Ordonner du temps au temps. La fantaisie ne souffre pas le relâchement. L’étonnant chez Louise Bourgoin est ce perfectionnisme qui se cache derrière un masque de facilité stylée. Elle dit : «Je ne supporte pas qu’on touche à l’ordre des mots dans mes phrases.» Ou bien : «Enfant, je ne tolérais pas qu’on ne fasse pas comme j’avais dit.» Pas sûr que ça ait changé. Mais comme elle le dit bien…



Publié dans Louise dans la presse

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